Quand le vicomte se met à table

Philippe de Villiers vient de publier chez Albin Michel un opus autobiographique intitulé Le temps est venu de dire ce que j'ai vu. Le bandeau destiné à nous mettre l'eau à la bouche énumère les personnalités sur lesquelles le lecteur peut espérer des confidences croustillantes: Hollande, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Poutine, Juppé.

J'ai une affection particulière pour Villiers parce qu'il est de Vendée, pays victime du premier génocide de l'ère moderne, qu'il n'a jamais admiré les coupeurs de têtes ni les autres menteurs du bicentenaire de la Révolution et que je le crois sincèrement patriote.

La plume est alerte et les anecdotes qu'il égraine au fil des trois cent quarante-cinq pages n'y figurent pas uniquement pour mettre en valeur l'auteur que tous les grands personnages du moment appellent affectueusement par son prénom. Ces instants sont tous «signifiants» comme dirait le psychanalyste. On veut nous montrer quelque chose. Mais quoi?

Philippe de Villiers était destiné à devenir haut fonctionnaire: il fait l'ENA, qui est, écrit-il, «un moule, un laminoir sémantique qui vous broie: vous y entrez avec trois mille mots, vous en sortez avec trente seulement, le cerveau formaté, hors de vos neurones et le cœur vide». Il réussit à démouler son esprit grâce, peut-être, au Puy du Fou, parc thématique et reconstitution historique extraordinaire, qui restera, finalement, sa seule réussite.

Car globalement, hélas, le bilan personnel de Villiers est mince. Malgré la justesse de ses combats, il a accumulé les échecs politiques. Il ne cherche d'ailleurs pas à les minimiser ni à en faire porter la responsabilité à d'autres, même si transparaît une certaine rancœur à l'endroit de ceux, les Séguin ou les Pasqua, qui se sont ralliés à Maastricht après l'avoir  combattu. Le seul homme politique resté fidèle au souverainisme, Jean-Marie Le Pen, Villiers n'en parle pas. On dirait que le Front national n'a simplement pas existé ces quarante dernières années!

Paradoxalement, c'est aux élections européennes qu'il obtiendra le meilleur résultat, alors même qu'il n'a que mépris pour les institutions de Bruxelles et leurs œuvres. Fraîchement retraité de la  politique, il peut aujourd'hui vider son sac.

Ses portraits de Chirac, de Giscard, de Pompidou, de Hollande, de Cohn-Bendit, de Sarkozy, de BHL ou de Harlem Désir sont croustillants et cruels. Les figures de Mitterrand, d'Hassan II, de Poutine ou de la veuve du Maréchal de Lattre sont évoquées avec une certaine tendresse, celle de Soljenitsyne avec une réelle admiration.

L'état actuel de la France est tragique. Le rêve mondialiste a tué les nations européennes et ruiné les classes moyennes. Le plan Mansholt et la corruption des hommes politiques, de droite et de gauche, par les barons de la grande distribution ont tué les paysans, dont les revenus ne couvrent plus les charges. Villiers s'en émeut mais n'a pas identifié le virus. Il se contente de dire (plaisamment) ce qu'il a vu, mais n'en tire aucune leçon, ne montre aucune issue, ne propose aucune solution crédible.

Avis à ceux qui pensaient à lui comme à un homme providentiel possible: n'y comptez pas. Il ne sera ni le général Boulanger ni le Bonaparte du 18 brumaire. Pour sauver la France, il faudra en attendre un autre.

Claude Paschoud

Thèmes associés: Notes de lecture - Politique française

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