Indifférence coupable

«Le musulman est sûr d’être dans la vraie religion.»

Père Abd-el-Gali, franciscain, musulman converti en 1928, dans la Nouvelle revue théologique, octobre 1938.

Si le colonel Kadhafi choisit la ville de Rome pour contester le dogme chrétien et proclamer l’universalité de sa propre religion, l’islam, ce n’est pas par hasard. C’est même, sans doute, dans son esprit, une forme de défi. La presse occidentale, comme à son habitude, ne réplique pas sur le fond et présente la chose comme un incident curieux, insolite, sans portée. Cette indifférence un peu hautaine cache un mépris certain pour les contestations religieuses. Mais, d’un autre côté, cette même presse se garde bien de provoquer le monde musulman quand bien même elle n’apporte aucun crédit aux assertions du chef d’Etat libyen et à ce message en particulier.

Je pense personnellement qu’un tel silence, mi-condescendant, mi-politique, mondain aussi, favorise, en fait, aussi bien l’agressivité musulmane que celle des antimusulmans européens dans la mesure où ces derniers n’entrent, eux non plus, jamais en matière sur le fond de ces divergences. Pareille attitude, secrètement cynique, contribue à jeter le discrédit sur les uns et à installer dans les esprits une fausse tolérance favorisant l’agressivité islamique. Contre les premiers, la presse invoquera le respect de toutes les religions, idée creuse s’il en est, et pour les autres, un appui totalement irraisonnable en faveur de l’irresponsabilité intellectuelle et religieuse. Car le discrédit notoire des positions de l’islam sur le Christ doit être étendu, sans jamais le dire, au christianisme lui-même, secrètement haï, et le respect d’une religion doit s’imposer en raison même de sa fausseté, seul moyen de combattre le christianisme sans se révéler comme un adversaire de la religion en soi. Le mensonge est suffisamment épais pour passer dans un monde faisant de la superficialité une règle particulièrement impérative en ces matières.

Contre de tels assauts, nul besoin de monter sur nos grands chevaux. Des réponses aussi fermes que courtoises aux propos du colonel Kadhafi auront, à long terme, beaucoup plus d’effet sur les musulmans eux-mêmes et constituent une réplique cinglante à l’hypocrisie et à la lâcheté de cette attitude occidentale manifestée par ses journalistes.

Le colonel Kadhafi veut donc nous donner à penser que le christianisme ne concerne que les juifs, alors que sa propre religion a seule vocation universelle. Nous n’allons pas donner ici une réponse théologique à ces propos. Nous nous contenterons d’évoquer deux faits certains relevant incontestablement de l’histoire universelle, faits qui prouvent que c’est bien le contraire qui est vrai de l’aveu même de païens contemporains du Christ… Oui, l’histoire générale nous apporte la preuve que la personne du Christ intéresse toute l’humanité, quand celle de Mahomet ne concerne que les seuls musulmans!

Lors de la naissance de Jésus, la paix était générale dans le monde entier. Peut-on révéler de façon plus délicate et souveraine néanmoins l’avènement du Prince de la Paix? Mais ce n’est pas tout. L’empereur Auguste, qui régnait alors, ordonna un recensement général de l’empire. Saint Luc le rapporte dans son Evangile au premier verset du chapitre 2. Mais il fit plus, et ceci ne figure pas dans les Ecritures. Il publia un édit défendant expressément qu’on lui donnât à lui-même le titre de seigneur «Dominus»). Saint Thomas d’Aquin, au chapitre XIII de De regimine principum, commente ainsi le fait: «C’est qu’à ce même moment était né le véritable seigneur et monarque du monde, celui dont Auguste n’était que l’intendant; mais il agissait, à son insu, sous la motion divine, comme plus tard Caïphe prophétisa sans le savoir.»1

Si la naissance du Sauveur fut ressentie obscurément par des païens, dont certains vinrent même en Israël pour l’honorer et l’adorer (les mages d’Orient), la mort du Christ eut également un retentissement international dont témoignent d’ailleurs les évangiles synoptiques eux-mêmes: l’obscurcissement du soleil. Or un homme, un magistrat athénien, en a témoigné aussi: Denis l’aréopagite, converti par la suite et canonisé par l’Eglise. Il en avait fait ce commentaire «à chaud»: «Ou le Dieu de la nature souffre, ou le système du monde est détruit.»

On ne trouve dans l’islam aucun fait de portée universelle opposable à ceux-ci, qui témoignent sans contestation possible de la puissance de Dieu, du Dieu des chrétiens, sur l’ordre même du monde et sur le fait que sa domination est absolue également sur les hommes sans pourtant aucunement porter atteinte à leur liberté.

Michel de Preux

1 Allusion à la question du grand prêtre à Jésus: «Es-tu le Christ, le Fils de Dieu?» (Matt. XXVI, 63 et Marc XIV, 61).

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