De l'incurie des autorités à la violence populaire

[A l'heure où la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie se préparent à être sanctionnées par les commissaires de l'UE pour leur refus d'accueillir des quotas de migrants, nous ressortons quelques lignes rédigées en début d'année et inexplicablement restées dans un tiroir.]

Pologne: sous l'effet de la libre circulation des personnes, ce pays qui ne connaissait jusqu'ici presque aucune immigration, sinon russe ou ukrainienne, voit arriver des Pakistanais, des Tunisiens, des Algériens. Au milieu d'une population encore très homogène, on commence tout de même à percevoir leur présence dans certaines villes. Sur la principale rue piétonne de Lublin, à l'est du pays, les petites terrasses d'il y a une dizaine d'années ont été progressivement – mais rapidement – remplacées par des kebabs: un, puis trois, puis cinq déjà sur quelques dizaines de mètres, plus un club pour adultes dont les rabatteurs harcèlent chaque soir les passants.

En même temps, les Polonais découvrent à travers les médias ce nouvel ennemi que constitue la «cinquième colonne» de l'Etat islamique présente dans les pays européens à forte immigration. Sur leurs écrans, ils voient les foules d'immigrés qui convergent vers l'Europe à travers la Méditerranée et les Balkans. Ils réalisent qu'eux-mêmes peuvent être touchés lorsqu'un de leurs compatriotes, chauffeur routier, se fait assassiner par un terroriste qui utilise son camion pour foncer dans la foule à Berlin.

La plupart des Polonais nous apparaissent comme des gens d'une autre époque, peu agressifs par nature et qui ne songent qu'à se marier, à avoir des enfants, à travailler dur pour se construire une maison familiale sur un bout de terrain où ils pourront attendre l'arrivée de leurs petits-enfants, tout cela en allant régulièrement à l'église, en festoyant de banquets en banquets et en entretenant la mémoire des hauts faits de leur histoire. Mais la découverte de ce qui se passe en Europe réveille leur instinct «primitif» que la sous-culture occidentale n'a pas encore ramolli. Dans les discussions, sur les réseaux sociaux, les gens se déchaînent en commentaires qui seraient automatiquement censurés en Europe de l'Ouest: nous ne voulons pas voir de musulmans chez nous, nous ne voulons pas que la Pologne devienne comme la France ou la Suède, etc.

A Nouvel-An, l'hostilité croissante face à l'immigration a suscité un événement tragique. A EÅ‚k, petite ville tranquille de Mazurie, un jeune Polonais qui n'en était pas à son premier méfait vole une boisson dans un kébab. Les responsables de l'établissement, tous maghrébins, le poursuivent dans la rue et le tuent à coups de couteau. La police arrête les assassins, mais la population ne se contente pas de cela et se rassemble dans les heures qui suivent pour saccager entièrement le kébab et l'appartement de son propriétaire. Sur les réseaux sociaux, on recense, en gros, autant d'avis critiques (la vengeance populaire est injustifiable) que d'encouragements (ces gens sont des sauvages, on est obligé d'user de violence face à ces gens qui ne comprennent que la violence).

Au risque de passer – injustement – pour modéré, nous nous risquons à penser que la violence populaire, certes, incitera les immigrés à se tenir à carreau pendant un moment, mais que, malgré cet effet positif, elle ne constitue pas une solution entièrement satisfaisante. Les mouvements de foule peuvent partir d'un sentiment légitime, mais ils dégénèrent presque toujours en violence aveugle et injuste: les êtres humains portent tous en eux des germes de méchanceté et de perversité, et lorsque la violence se déchaîne, ceux qui sont en première ligne sont généralement ceux qui savent le moins bien maîtriser ces mauvais instincts. Il en résulte souvent des violences inutiles et dirigées contre de faux coupables. Et quand bien même elle serait dirigée avec un minimum d'intelligence et de justice, cette violence est incontestablement le signe d'une société malade.

Le rôle de la politique et des politiciens devrait précisément être de tout entreprendre pour éviter que surviennent des situations conflictuelles où les citoyens en arrivent à voir la violence – au sens propre ou figuré – comme la seule issue. Ainsi, les autorités des pays européens devraient veiller à ce que les immigrés qui s'installent soient des gens intégrables et intégrés, acceptables et acceptés, ne suscitant pas d'hostilité générale. A défaut, elles prennent le risque que les «indigènes» décident de faire justice eux-mêmes, comme en Pologne aujourd'hui, et peut-être comme chez nous dans un proche avenir et avec une violence encore plus grande. [A l'heure actuelle, on voit des groupes de jeunes s'organiser pour empêcher le débarquement des migrants sur les côtes de la Méditerranée.]

La population prend rarement des décisions intelligentes et mûrement réfléchies; elle se laisse très rapidement guider par de mauvais instincts. Pourtant, si elle voit ses autorités prendre de bonnes décisions – entendez des décisions qui donnent manifestement de bons résultats –, alors elle leur fait confiance et vaque à ses occupations sans se lancer dans des actions brouillonnes ou violentes pour redresser des gouvernails qu'elle voit flotter en tous sens.

Les autorités qui ne tiennent pas correctement le gouvernail sont responsables de ce que des citoyens inexpérimentés tentent de s'en emparer par la force.

Pollux

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